Absence de 2ème examen de reprise
Absence de 2ème examen de reprise par le médecin du travail et absence d’avis d’inaptitude : quelles conséquences ? Absence de reprise du salaire et absence de licenciement. Rupture du contrat de travail cinq ans plus tard, par mise à la retraite à 60 ans, contestée. Demande de rappel de salaire. Accusation de harcèlement moral principalement basé sur les agissements du médecin du travail. Recel de violation du secret professionnel médical. Jurisprudence de la Cour de cassation.
Note aux lecteurs : Depuis le 1er janvier 2017, un avis d’inaptitude peut être prononcé à l’issue d’un seul examen par le médecin du travail. C’est uniquement si le médecin du travail le considère nécessaire, qu’un second examen sera réalisé. La jurisprudence présentée ci-dessous doit donc être replacée dans le contexte juridique de l’époque. En savoir plus sur l’avis d’inaptitude.
L’absence de 2ème examen de reprise à l’origine de l’affaire
Un salarié, engagé en mai 1976 par les Houillères de Lorraine (reprises depuis par l’établissement public Charbonnages de France), devenu ultérieurement ingénieur, s’est retrouvé en arrêt-maladie à partir de février 2002.
Informé de sa demande de placement en invalidité, l’employeur a demandé au médecin du travail de recevoir le salarié en visite médicale de reprise. Le salarié ayant été reçu en première visite médicale dès le 27 octobre 2004, l’employeur (dans le cadre de la législation antérieure à la loi travail du 8 août 2016, entrée en vigueur le 1er janvier 2017) demandait au service de médecine du travail de le convoquer à la seconde visite médicale en vue de déterminer son aptitude ou inaptitude à reprendre son emploi. Or, le médecin du travail a alors estimé qu’il n’y avait pas lieu d’y procéder.
Faute d’une déclaration d’inaptitude, les suites habituelles de celle-ci (reclassement ou licenciement pour inaptitude, et dans l’attente de l’un ou l’autre : reprise de la rémunération dans l’attente après un mois) n’ont pas vu le jour.
Le salarié a effectivement été reconnu invalide par la sécurité sociale, à compter du 1er janvier 2005. Cinq ans plus tard, le 28 février 2010, le salarié ayant atteint 60 ans a été mis à la retraite.
Un contentieux à facettes multiples
L’arrêt de la cour d’appel
Le salarié ayant saisi la juridiction prud’homale en formulant diverses demandes, la Cour d’appel de Metz a rejeté sa demande de rappel de salaires à compter du 1er janvier 2005 et subsidiairement de dommages-intérêts du fait de l’absence d’une seconde visite d’inaptitude.
Pour arrêter sa décision, la cour d’appel a indiqué qu’à la date du 21 février 2005, le contrat de travail était toujours suspendu faute de visite médicale de reprise (absence de la deuxième visite médicale).
Une indemnisation du salarié pour le préjudice subi à compter du 1er janvier 2005 a toutefois été décidée par la cour d’appel.
Enfin, la cour d’appel a rejeté la demande du salarié, au titre d’un harcèlement moral et d’un recel de violation du secret professionnel médical.
(Cour d’appel de Metz, du 31 octobre 2013)
Le pourvoi du salarié et les réponses de la Cour de cassation
N’ayant pas obtenu pleinement satisfaction devant la cour d’appel, le salarié a formé un pourvoi en cassation. Ce pourvoi était fondé sur quatre catégories de griefs.
Demande de rappel de salaires et de dommages-intérêts
Le salarié a fait grief à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande de rappel de salaires à compter du 1er janvier 2005 et subsidiairement de dommages-intérêts du fait de l’absence de seconde visite d’inaptitude, alors que l’employeur est responsable de faire se tenir le second examen médical d’inaptitude et ne peut être exonéré de cette responsabilité par le comportement du médecin du travail.
Selon le salarié la cour d’appel a commis une erreur en décidant que le contrat de travail était toujours suspendu en l’absence de seconde visite et en limitant la réparation de son préjudice.
La Cour de cassation a tranché sur le principe dans le sens de la cour d’appel : « si l’employeur qui s’abstient, après le premier examen médical de reprise, de faire effectuer par le médecin du travail le second des examens exigés [par le code du travail…] commet une faute, il appartient aux juges du fond dans cette hypothèse d’allouer au salarié non pas le paiement de salaires sur le fondement de l’article L. 1226-4 du code du travail inapplicable, mais une indemnisation du préjudice réellement subi ».
La Cour de cassation ayant relevé que la cour d’appel de Metz, qui avait constaté que l’employeur avait manqué à ses obligations à cet égard, a indemnisé le salarié du préjudice subi à compter du 1er janvier 2005 (conformément à la demande du salarié en appel), en a déduit que le moyen du salarié était inopérant (c’est-à-dire que son argumentation n’avait pas d’incidence sur le litige).
Demande d’indemnisation au titre d’un harcèlement moral
Le salarié a aussi fait grief à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir écarté sa demande d’indemnisation au titre d’un harcèlement moral.
Le salarié a fait valoir que :
- Quand le salarié établit des faits précis et concordants, le juge doit apprécier si l’ensemble de ces faits, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et, lorsque c’est le cas, il revient à l’employeur d’apporter la preuve que ces faits ne constituent pas un harcèlement.
- L’employeur est tenu à une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés de l’entreprise (ceci est notamment applicable en matière de harcèlement moral). Selon le salarié l’employeur est responsable des agissements du médecin du travail chargé, à sa demande, de se prononcer sur l’aptitude ou l’inaptitude du salarié déterminant l’avenir professionnel du salarié. Selon le salarié, l’absence de faute de l’employeur ne fait pas disparaître sa responsabilité.
- Enfin, pour le salarié, les agissements répétés du médecin du travail qui a eu un comportement ayant pour objet, ou pour effet, d’entraîner une dégradation de la situation professionnelle d’un salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, peuvent caractériser un harcèlement moral.
La Cour de cassation a constaté que la cour d’appel avait examiné tous les éléments invoqués par le salarié pour faire présumer un harcèlement moral et a rappelé « que le médecin du travail, même salarié au sein de l’entreprise, assure les missions qui lui sont dévolues […] dans les conditions d’indépendance professionnelle définies et garanties par la loi ».
La Cour de cassation a donc jugé « que c’est dès lors à bon droit que la cour d’appel a décidé que le comportement du médecin du travail dans l’exercice de ses fonctions n’était pas susceptible de constituer un harcèlement moral de la part de l’employeur ». Par conséquent, la Cour de cassation a jugé le moyen du salarié non fondé.
Invocation d’un recel de violation du secret professionnel médical
Le salarié a encore invoqué un recel de violation du secret professionnel médical contre l’employeur : la faute de l’employeur ayant consistée à faire établir et produire en justice une attestation du médecin du travail incluant des éléments issus du dossier médical du salarié, au-delà de ce que le médecin du travail doit légalement communiquer à l’employeur.
Pour rejeter la demande de dommages-intérêts, l’arrêt de la cour d’appel s’était appuyé sur une décision du conseil régional de l’ordre des médecins, selon laquelle si le médecin du travail s’est vu infliger un blâme, c’est seulement pour avoir manqué à ses obligations en se dispensant de formuler l’avis qu’il était tenu d’établir en vertu de la loi. La cour d’appel avait aussi considéré que le salarié ne démontrait pas une quelconque faute de son employeur.
Mais, la Cour de cassation a considéré « qu’en statuant ainsi, alors que l’employeur avait produit aux débats une attestation du médecin du travail comportant des éléments tirés du dossier médical du salarié, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
La Cour de cassation, a conclu en cassant et annulant l’arrêt de la cour d’appel de Metz, mais « seulement en ce qu’il a rejeté les demandes [du salarié] au titre de la discrimination en raison de l’âge résultant de sa mise à la retraite et à titre de dommages-intérêts pour « recel de violation du secret professionnel ».
Contestation de la validité de la mise à la retraite
Le salarié a aussi fait grief à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir jugé que son contrat de travail avait pris fin de plein droit le 1er mars 2010, contrairement à sa position, et de l’avoir débouté de ses demandes salariales résultant de cette décision.
Faisant référence à la Directive n° 2000/ 78/ CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail dans l’Union Européenne, la Cour de cassation a constaté :
« Qu’en statuant ainsi, sans constater que, pour la catégorie d’emploi du salarié, la différence de traitement fondée sur l’âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires, la cour d’appel, qui devait appliquer la directive communautaire consacrant un principe général du droit de l’Union, a violé le texte susvisé ».
(Cour de cassation, chambre sociale, mardi 30 juin 2015, N° : 13-28201)
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Conclusion :
En cas d’absence du 2ème examen de reprise par le médecin du travail et d’absence d’avis d’inaptitude, l’employeur est tenu pour fautif, quand bien même il l’avait demandé au médecin du travail l’organisation du 2ème examen de reprise au médecin du travail.
Le salarié n’a pas droit au paiement du salaire, mais à une indemnisation du préjudice réellement subi. En effet, en l’absence d’un avis d’inaptitude, la règle de reprise de la rémunération un mois après à défaut de reclassement ou de licenciement pour inaptitude n’a pas lieu de s’appliquer. Mais l’employeur est responsable de sa faute.
Le comportement du médecin du travail dans l’exercice de ses fonctions n’est pas susceptible de constituer un harcèlement moral de la part de l’employeur. En effet, même salarié au sein de l’entreprise, il assure les missions qui lui sont dévolues dans des conditions d’indépendance professionnelle prévue par la loi.
L’employeur qui fait établir et produit en justice des informations médicales issues du dossier médical du salarié, que le médecin du travail n’avait pas à communiquer à l’employeur, commet une faute pouvant donner droit à des dommages et intérêts.
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Article rédigé par Pierre LACREUSE : Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME). Et dernièrement éditeur juridique et relations humaines sur internet.
Sources : code du travail et jurisprudences de la Cour de cassation Légifrance.gouv.fr
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