Aptitude avec réserves et harcèlement

Jurisprudence de la Cour de cassationAvis d’aptitude avec réserves et harcèlement.  Après refus de l’employeur d’en tenir compte, tentatives de reclassement  et licenciement, jurisprudence de la Cour de cassation. L’avis d’aptitude et les réserves du médecin du travail doivent être respectés par l’employeur. Proposer à plusieurs reprises un poste d’un niveau inférieur, ou imposer de manière répétée des tâches incompatibles avec les prescriptions du médecin du travail, peut constituer des faits de harcèlement moral.

Le contexte de l’avis d’aptitude avec réserves, des propositions de reclassement et du licenciement

Une salariée ayant été engagée par la société Leroy Merlin France en novembre 1989, occupait les fonctions de responsable du rayon décoration d’un magasin dans le Val d’Oise.

Elle a été victime d’un accident du travail le 19 décembre 2002. Le 7 mars 2003, lors de la visite médicale de reprise, le médecin du travail l’a déclarée apte à reprendre son poste mais avec des restrictions « durant trois mois, pas de port de manutention répétée, pas de port de charges lourdes, siège assis-debout impératif ». Par la suite, la salariée a été reçue plusieurs fois par le médecin du travail après des rechutes en lien avec son accident du travail. Le médecin du travail a continué à donner un avis d’aptitude de la salariée à son poste de travail, tout en émettant des restrictions de plus en plus importantes.

A diverses reprises, l’employeur a proposé un reclassement à la salariée. Il lui a proposé : un poste d’employée administrative, un poste en comptabilité fournisseur, un poste d’hôtesse aux matériaux et cinq fois un poste d’hôtesse service client. Ce dernier poste impliquait un mouvement continu des bras, contraire aux préconisations du médecin du travail. Malgré le maintien de son salaire antérieur, la salariée a rejeté toutes ces offres, d’un niveau inférieur à son poste précédent.

Le 30 mai 2005,  l’employeur a alors procédé au licenciement de la salariée.

Le contentieux suite au licenciement et pour harcèlement moral

La salariée a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de dommages-intérêts pour le licenciement et pour le harcèlement moral.

L’arrêt de la Cour d’appel

La Cour d’appel de Versailles, a relevé que les dispositions de l’article L 1226-8 du code du travail prescrivent que lorsqu’à l’issue des périodes de suspension pendant la durée de l’arrêt de travail provoqué par l’accident du travail, le salarié est déclaré apte par le médecin du travail, il retrouve son emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente.

La Cour d’appel de Versailles a constaté que, si les différents avis portant sur l’aptitude de la salariée à occuper son emploi de responsable de rayon comportaient d’importantes réserves de la part du médecin du travail, celui-ci n’avait jamais rendu un avis d’inaptitude de la salariée à son poste. La cour d’appel a aussi considéré que le poste de responsable de rayon excluait la réalisation de tâches de manutention et que par conséquent la salariée aurait dû retrouver ce type de poste.

Par conséquent, la cour d’appel a dit que le licenciement de la salariée avait été prononcé en méconnaissance des dispositions de l’article L 1226-8 du code du travail

De plus, la cour d’appel a jugé qu’il y avait eu harcèlement moral du fait que l’employeur  avait  imposé à la salariée des tâches de manutention qui ne rentraient pas dans ses attributions, puis de lui avoir proposé des solutions de reclassement d’un niveau inférieur à son positionnement (arrêt de la Cour d’appel de Versailles, 27 mars 2008).

Les arguments de l’employeur

L’employeur contestant l’arrêt de la cour d’appel, a formé un pourvoi en cassation.

Pour l’employeur, le salarié n’a pas à être réintégré dans son poste lorsqu’il n’est déclaré apte à reprendre son poste qu’avec des restrictions incompatibles avec l’exercice de son emploi.

Le poste de responsable de rayon nécessitant, selon l’employeur, d’assurer « la gestion quotidienne, de l’organisation et de l’approvisionnement […et…] au sein du rayon, la coordination du travail au quotidien », son titulaire doit effectuer, au moins ponctuellement, des tâches de manutention. De ce fait, l’employeur estime que les restrictions imposées par le médecin du travail interdisant à la salariée d’effectuer toute tâche de manutention sont incompatibles avec l’emploi de responsable de rayon.

Enfin, selon l’employeur, le harcèlement moral suppose que soient caractérisés des actes de l’employeur constitutifs d’une atteinte délibérée aux droits et à la dignité du salarié, ce qui pour lui n’était pas le cas.

La Cour de cassation

Parfaitement dans son rôle, la Cour de cassation a rappelé la loi, lorsque le médecin du travail a donné un avis d’aptitude et proposé des mesures : « il résulte de l’article L. 1226-8 du code du travail, que si le salarié est déclaré apte par le médecin du travail, il retrouve son emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente ; que selon les dispositions de l’article L. 4624-1 dudit code, le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles, telles que mutations ou transformations de poste, justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, la résistance physique ou à l’état de santé des travailleurs ; que le chef d’entreprise est tenu de prendre en considération ces propositions  ».

La cour de cassation a aussi relevé : « que la cour d’appel a constaté que, si pour chacun des avis relatifs à l’aptitude de la salariée à occuper son emploi et qui n’avaient pas été contestés, le médecin du travail avait émis d’importantes réserves, il n’avait cependant jamais rendu un avis d’inaptitude de l’intéressée aux fonctions de responsable de rayon », pour conclure que la cour d’appel a légalement justifié sa décision.

Concernant le harcèlement, la Cour de cassation a indiqué « qu’il résulte de l’article L. 1152-1 du code du travail, que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ».

A partir de ce rapport, la Cour de cassation a jugé « qu’en retenant que l’employeur avait imposé à la salariée de manière répétée, au mépris des prescriptions du médecin du travail, d’effectuer des tâches de manutention lourde qui avaient provoqué de nombreux arrêts de travail puis, au vu des avis médicaux successifs, qu’il avait proposé des postes d’un niveau inférieur à celui d’agent de maîtrise, en particulier à cinq reprises le poste d’hôtesse au service client qui était lui-même incompatible avec les préconisations du médecin du travail, la cour d’appel a caractérisé le harcèlement moral dont la salariée avait été victime ».

La cour de cassation a donc rejeté le pourvoi de l’employeur  (Cour de cassation, chambre sociale, 28 janvier 2010, N° : 08-42616).

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Conclusions :

En cas d’avis d’aptitude avec des réserves, l’employeur  doit  redonner au salarié, qui n’a pas été déclaré inapte, son emploi initial ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente. Il doit aussi obligatoirement prendre complètement en compte les réserves du médecin du travail (comme par exemple l’absence du port de charge), quand bien même il estimerait  impossible la tenue du poste en appliquant ces réserves. A défaut de convaincre le médecin du travail de prononcer l’inaptitude du salarié, l’employeur peut seulement contester l’avis médical devant l’inspecteur du travail et s’il n’obtient pas satisfaction poursuivre ses recours juridique.

Cette jurisprudence indique aussi que le fait d’imposer de manière répétée, à un salarié des tâches incompatibles avec les prescriptions du médecin du travail, ou celui de proposer à plusieurs reprises un poste d’un niveau inférieur lui-même incompatible avec les préconisations du médecin du travail, peut constituer des faits de harcèlement moral.

Le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.

Article rédigé par Pierre LACREUSE, Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME), aujourd’hui éditeur juridique et relations humaines sur internet.

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Sources : jurisprudences de la Cour de cassation Légifrance.gouv.fr

 

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