Harcèlement : licenciement nul
Licenciement nul lorsqu’un harcèlement est à l’origine de l’inaptitude. Un collègue harcèle une salariée après la rupture de leur relation intime. Celle-ci sombre alors dans un état dépressif réactionnel et le médecin du travail la déclare alors inapte. Ensuite, elle refuse un reclassement conforme à l’avis du médecin du travail. Et son employeur la licencie pour inaptitude. La Cour de cassation, après la cour d’appel, dit que le licenciement pour inaptitude, effectué alors que l’origine de l’inaptitude est un harcèlement, est juridiquement nul.
Le contexte : harcèlement, inaptitude, refus du reclassement et licenciement
Embauchée par la société Système U-centrale régionale sud en octobre 1988, une salariée est devenue employée administrative hautement qualifiée. Elle a eu un arrêt de travail à compter du 18 juin 2007. Celui-ci s’expliquait par un « état dépressif réactionnel » à l’attitude d’un de ses collègues de travail envers elle, après la rupture de leur relation intime. A la suite la salariée a passé deux visites médicale de reprise les 13 et 27 mars 2008, à l’issue desquelles le médecin du travail l’a déclarée « inapte au poste d’employée administrative hautement qualifiée dans le service production ou service épicerie. [Mais] apte à un poste de même qualification sur un site géographique différent type V1 ou V6 ».
En juillet 2008, la société lui proposait une affectation définitive dans le service commercial. Ceci devait prendre effet à compter du 1er septembre 2008, avec une période probatoire d’un mois. La salariée accepta. Mais le 17 septembre 2008, la salariée avisait son employeur qu’elle décidait de mettre un terme à la période probatoire. Et elle motivait sa décision par des difficultés d’adaptation dans son nouveau poste.
Devant l’absence de toute autre possibilité de reclassement au sein de l’entreprise, l’employeur procédait à son licenciement pour inaptitude le 4 novembre 2008.
Le contentieux : harcèlement, le licenciement est-il nul ?
Insatisfaite des conditions de son licenciement, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier. Par jugement du 8 septembre 2010, celui-ci l’a débouté de l’intégralité de ses demandes.
La cour d’appel
La salariée a alors saisi la cour d’appel pour faire constater que l’inaptitude avait pour origine les agissements de harcèlement moral d’un collègue de travail. Puis à la suite, qu’elle dise le licenciement nul et condamner l’employeur à lui payer d’importantes indemnités.
La Cour d’appel a rappelé que « lorsque l’inaptitude du salarié est la conséquence directe des agissements de harcèlement moral, l’employeur ne peut s’en prévaloir pour rompre le contrat de travail et le licenciement pour inaptitude est nul ».
Par ailleurs, constatant :
- que l’inaptitude définitive à son poste de la salariée avait pour seule origine son état dépressif réactionnel aux agissements de harcèlement moral d’un collègue travaillant à proximité, nécessitant son propre éloignement faute de réaction de l’employeur
- et que l’avis médical d’inaptitude était, particulièrement explicite en retenant comme seule indication l’éloignement, même s’il ne mentionnait pas le harcèlement moral,
La Cour d’appel en a déduit que le licenciement était nul.
En conséquence, la cour d’appel a condamné l’employeur (préavis, indemnisation pour préjudices causés par le harcèlement moral et par la perte injustifiée de son emploi et article 700 du CPC), pour un montant de plus de 78 000 €uros (plus de 39 mois de salaire brut).
(Cour d’appel de Montpellier, 4ème chambre sociale, du 21 Septembre 2011, N ° : 10/08113)
Le pourvoi en cassation de l’employeur
Faisant grief à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir dit que l’inaptitude de la salariée avait pour origine des agissements de harcèlement moral et d’avoir dit nul le licenciement, l’employeur a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
1er moyen exposé par l’employeur :
L’employeur a dénoncé l’origine relevant de la vie privée des faits dont la salariée a été reconnue victime. Selon lui, retenir la responsabilité de l’employeur pour des faits de harcèlement étrangers aux seules relations professionnelles de la salariée était injustifié.
L’employeur a aussi affirmé que la cour d’appel avait dénaturé ses conclusions, en appuyant l’existence du harcèlement moral et en basant le montant de l’indemnisation sur le manque de soutien de l’employeur qui, n’aurait pas allégué avoir entrepris à l’égard des deux salariés une démarche semblable, prenant ainsi parti pour M. Y… contre la victime. L’employeur s’inscrivait en faux contre cette affirmation.
2ème moyen exposé par l’employeur :
L’employeur a rappelé que si la salariée a été reconnue inapte à l’occupation de son poste initial, elle a été déclarée apte par le médecin du travail au reclassement sur un poste de l’administration commerciale, proposé par l’employeur, pour lequel elle a rompu sa période probatoire. Par conséquent, selon l’employeur l’inaptitude résultait du refus du poste de reclassement.
L’employeur a également rappelé que seul le médecin du travail est habilité à constater l’inaptitude du salarié et à en indiquer les causes. A partir de cela, il reprochait à la cour d’appel d’avoir violé la loi. en se fondant sur le seul certificat du médecin traitant.
Enfin, l’employeur a encore rappelé que l’avis du médecin du travail n’évoquait pas le harcèlement moral. Et qu’il indiquait seulement l’aptitude de la salariée à un poste de reclassement au sein de l’administration commerciale de l’entreprise. Alors que l’avis n’indiquait ni le lieu ni des raisons justifiant l’inaptitude au poste initial. Sur ces éléments, l’employeur reprochait à la cour d’appel d’avoir dénaturé l’avis d’inaptitude en le disant « particulièrement explicite ».
L’arrêt de la Cour de cassation
La Cour de cassation a d’abord dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le premier moyen exposé par l’employeur. Puis, elle a tranché sur le second en rejetant le pourvoi de l’employeur.
La Cour de cassation a rappelé que la cour d’appel apprécie souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui sont soumis. En l’espèce, le certificat médical d’inaptitude.
La Cour de cassation a ensuite jugé que la cour d’appel :
- « a estimé, hors toute dénaturation, que l’inaptitude définitive de la salariée à son poste de travail avait pour seule origine son état dépressif réactionnel aux agissements de harcèlement moral dont elle avait fait l’objet »
- « qu’elle a pu dès lors décider que le licenciement était nul »
- et que le second moyen exposé par l’employeur « n’est pas fondé ».
(Cour de cassation, chambre sociale, 13 février 2013, N° : 11-26380)
Conclusion : s’il y a eu harcèlement, le licenciement est nul !
La jurisprudence en matière de harcèlement moral applique strictement la disposition légale. Celle-ci prévoit que toute rupture du contrat de travail qui résulte d’un harcèlement moral est nulle de plein droit. (Art. L 1152-3 du Code du travail).
La Cour de cassation considère que le licenciement pour inaptitude ayant pour origine des faits de harcèlement moral est nul.
Par ailleurs, cette affaire a permis de rappeler que les cours d’appel apprécient souverainement les éléments de fait et de preuve qui leur sont soumis. En fait, la Cour de cassation ne contrôle que l’application du droit.
Article rédigé par Pierre LACREUSE : Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME). Et aujourd’hui éditeur juridique et relations humaines sur internet.
Ce site gratuit est financé par la publicité, merci de nous soutenir.
Si vous avez été intéressé par cette jurisprudence de la Cour de cassation, cela vous intéressera sans doute aussi : Jurisprudence harcèlement et inaptitude
Accès à l’article explicatif sur : Harcèlement et inaptitude
Accès à la première page du site : Licenciement pour inaptitude
Cet article pourrait vous intéresser : la prise d’acte de la rupture du contrat.
Sites conseillés dans un autre domaine : l’abandon de poste et la rupture conventionnelle du cdi.
Source de la jurisprudence arrêt des tribunaux d’appel et de la Cour de cassation : Legifrance.gouv.fr
© Licenciement pour inaptitude – La marque et le contenu du site licenciementpourinaptitude.fr sont soumis à la protection de la propriété intellectuelle. Le site Licenciement pour inaptitude est le 1er site complet d’expertise et conseil autour du licenciement pour inaptitude. Article : Harcèlement : licenciement nul. Les mots clés sont : harcèlement et licenciement pour inaptitude ; licenciement nul du fait du harcèlement à l’origine de l’inaptitude ; nullité du licenciement ; dommages et intérêts ; Cour de cassation ; licenciement inaptitude ; harcèlement ; cassation ; cour d’appel ; arrêt de la Cour de cassation.
Bonjour,
Après presque 6 mois en arrêt de travail suite à une dépression pour harcèlement moral je viens d’être déclarée inapte par le médecin de travail « possibilité de reclassement à un poste similaire dans un environnement différent »
Le médecin de pathologies professionnelles fera la démarche pour que l’inaptitude soit reconnue d’origine professionnelle, mais il m’a dit que le délai de réponse de la CPAM est de plusieurs mois
Si je n’ai pas de réponse avant la date limite de licenciement, puis-je demander les indemnités pour inaptitude professionnelle ? Dois je informer mon employeur de cette demande et dans ce cas quelle est la procédure.
Le fait d’avoir envoyé un courrier, un à mon employeur, un au délégué de personnel et un l’inspection du travail pour informer de harcèlement donc je suis victime laisse déjà comprendre que mon inaptitude est lié directement à mon travail ?
Je vous remercie d’avance de votre réponse.
cordialement
L. Moreno
Bonjour,
Il est important pour vous que la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle soit bien enregistrée par la CPAM. Normalement la CPAM doit informer l’employeur qu’une demande est en cours ; il est cependant préférable que vous en informiez par lettre recommandée avec AR votre employeur, qui ne pourra ainsi pas contester avoir été informé.
Le lien entre le harcèlement et votre inaptitude devra être reconnu ultérieurement par la justice prud’homale, que vous saisirez, si vous avez été licenciée pour inaptitude (sauf en cas d’accord transactionnel, vous assurant une somme supplémentaire suffisante). Votre lettre sera un élément pour établir le lien entre harcèlement et maladie, mais votre employeur contestera probablement, ce sera donc vos éléments montrant le harcèlement contre les preuves contraires de votre employeur.
Le mieux sera que le caractère professionnel de votre inaptitude ait été reconnu par la CPAM (ou si elle ne le faisait pas par le tribunal des affaires de sécurité sociale), avant le jugement de prud’hommes. Le lien avec le harcèlement sera alors plus facile à établir, car même si théoriquement la justice prud’homale est indépendante des décisions de la sécurité sociale, dans les fait il y a un lien d’influence.
Si votre maladie professionnelle n’est pas reconnue avant votre licenciement, vous pourrez réclamer les conditions du licenciement pour inaptitude professionnelle (indemnité spéciale de licenciement et compensation pour le préavis). Soit votre employeur en tient compte, soit vous les obtiendrez plus tard du conseil de prud’hommes. De toute façon pour une inaptitude suite à harcèlement, vous serez conduite à saisir les prud’hommes (sauf en cas d’accord transactionnel).
Après votre licenciement, s’il intervient, vous aurez intérêt à vous faire assister d’un avocat.
Bien cordialement.