Manquement à l’obligation de sécurité, quel juge ?

Manquement à l'obligation de sécurité - TASS ou prud'hommes ?Signification et portée de l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur. Bien que liés à l’exécution du contrat de travail, l’appréciation et l’indemnisation des manquements à l’obligation de sécurité ne relèvent pas nécessairement de la compétence de la juridiction prud’homale. Par deux arrêts du 3 mai 2018 et une communication forte, la Cour de cassation a clarifié, les compétences respectives de la juridiction de la sécurité sociale et des prud’hommes lorsqu’il y a eu manquement à l’obligation de sécurité.

Signification et portée de l’obligation de sécurité

L’article L 4121-1 du code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés. Il s’agit de l’obligation de sécurité.

Les mesures que doit prendre l’employeur comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. Ces mesures doivent être adaptées pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

Cette obligation de sécurité interdit à l’employeur de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés, dans l’exercice de son pouvoir de direction (Cour de cassation, chambre sociale, 5 mars 2008, N° : 06-45888).

L’employeur doit assurer l’effectivité de son obligation de sécurité (notamment en prenant en considération les propositions de mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mentale des travailleurs, que le médecin du travail est habilité à faire ; en cas de refus, l’employeur est tenu de faire connaître les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite).

Si un manquement à son obligation de sécurité par l’employeur a des conséquences, l’employeur ne peut sanctionner le salarié pour cela et le manquement engage la responsabilité de l’employeur, le préjudice étant évalué par le juge (Cour de cassation, chambre sociale, 19 décembre 2007, N° : 06-43918).

Compétence de la juridiction de la sécurité sociale ou des prud’hommes ?

Bien que liés à l’exécution du contrat de travail, l’appréciation et l’indemnisation des manquements à l’obligation de sécurité ne relèvent pas nécessairement de la compétence de la juridiction prud’homale.

Lorsque le dommage subi par le salarié (par la faute de son employeur) n’est pas pris en charge dans le cadre de la législation sur les accidents du travail ou les maladies professionnelles, le salarié peut engager une action contre son employeur sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile contractuelle (Cour de cassation, chambre sociale, 11 octobre 1994, N° : 91-40025 ; 28 octobre 1997, N° : 95-40272 95-40509 et  7 décembre 2011, N° : 10-22875).

La demande du salarié relève, en application de l’article L. 1411-1 du code du travail, de la compétence de la juridiction prud’homale (Cour de cassation, chambre sociale, 8 février 2012, N° : 11-15247 et suivants ; 6 mai 2014, N° : 13-10773).

Lorsque le salarié est victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, les règles spécifiques du code de la sécurité sociale, notamment les articles L. 142-1 et L. 451-1, doivent s’appliquer. Se fondant sur ces dispositions, la chambre sociale de la Cour de cassation (après avis de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation), en avait conclu que « si la juridiction prud’homale est seule compétente pour connaître d’un litige relatif à l’indemnisation d’un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité » (Cour de cassation, chambre sociale, 29 mai 2013, N° : 11-20074).

Ainsi, le salarié ne peut valablement s’adresser à la juridiction prud’homale pour obtenir des dommages-intérêts pour le préjudice résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, au motif d’un manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité.

Cette position de la Cour de cassation a suscité de nombreuses interrogations sur la délimitation exacte des compétences respectives des juridictions prud’homales et de la sécurité sociale.

Ces incertitudes ont été mises en lumière par deux affaires pour lesquelles les cours d’appel ont pris des positions opposées.

La Cour de cassation clarifie les compétences de la juridiction prud’homale

Examinant le même jour ces deux affaires, la chambre sociale de la Cour de cassation a défini précisément la compétence et l’office du juge prud’homal.

Dans ces deux affaires, la chambre sociale de la Cour de cassation a décidé que, « si l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. » (Cour de cassation du 3 mai 2018, N° : 16-26850 et 17-10306).

La chambre a ainsi rappelé, avec force et une importante communication, que même lorsque le salarié est victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, la juridiction prud’homale est seule compétente pour connaître de l’application des règles relatives à la rupture du contrat de travail. Cependant, elle n’a pas remis en cause les principes régissant la réparation des risques professionnels.

Il faut bien voir que la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle indemnise :

  • d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité
  • et, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent.

Autrement dit, la perte tant de l’emploi que des droits à la retraite, même consécutive à un licenciement pour inaptitude, est réparée par l’application des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale (Cour de cassation, chambre mixte, 9 janvier 2015, N° : 13-12310 ; chambre sociale, 6 octobre 2015, N° : 13-26052).

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Ainsi, même sur le fondement des dispositions de l’article L. 1226-15 du code du travail, le juge prud’homal ne peut indemniser la perte des droits à la retraite consécutive à un accident du travail, laquelle est réparée par la rente prévue au titre du livre IV (Cour de cassation, chambre sociale, 3 mai 2018, N° : 14-20214).

L’indemnisation par l’employeur, pouvant être attribuée par la juridiction prud’homale, est donc strictement limitée aux conséquences de la rupture abusive, ou illicite du contrat de travail. Le juge prud’homal fait, le cas échéant,  application des sanctions prévues à ces titres par le code du travail.

Pour en savoir plus : Manquement de l’employeur ayant causé l’inaptitude = Licenciement pour inaptitude sans cause réelle et sérieuse.

Article rédigé par Pierre LACREUSE, Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon- Sorbonne, ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME), aujourd’hui Editeur juridique et relations humaines sur internet.

Sources : jurisprudences de la Cour de cassation du 3 mai 2018, N° : 16-26850 et 17-10306 – Légifrance.gouv.fr et note explicative de la Cour de cassation relative aux arrêts de la Chambre sociale – courdecassation.fr

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