Le reclassement (jurisprudences)
Dernière mise à jour : 26 décembre 2019. A la suite de l’avis d’inaptitude par le médecin du travail, sauf contre-indication du reclassement par le médecin du travail sur l’avis d’inaptitude, l’employeur a l’obligation de mener une recherche effective, pertinente et suffisante de reclassement du salarié et pour justifier un licenciement pour inaptitude, l’employeur doit être en mesure de prouver l’impossibilité du reclassement du salarié. Jurisprudences de la Cour de cassation et prise en compte de l’ordonnance de septembre 2017.
L’étendue de la recherche du reclassement
Quand un reclassement n’a pas à être recherché
Le médecin du travail peut exclure la recherche d’un reclassement en apposant sur l’avis d’inaptitude professionnelle ou non professionnelle la mention que « tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé », ou * « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi » (loi Travail du 8 août 2016).
Quand un reclassement n’a plus à être recherché
Lorsqu’un poste de reclassement a été proposé dans les conditions prévues par l’article L 1226-2 ou L 1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail et que cette proposition a été refusée, l’employeur n’a plus l’obligation de rechercher une autre possibilité de reclassement. Le législateur a précisé que « L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2 [ou L 1226-10], en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail » (la loi Travail du 8 août 2016).
Quel emploi doit être recherché ?
L’emploi que l’employeur doit rechercher et proposer au salarié doit être approprié à ses capacités et prendre en compte, après avis des membres du comité social et économique, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise.
Cet emploi doit être le plus proche possible de celui qu’occupait le salarié. Les éléments essentiels que sont la qualification, la rémunération, la définition du poste, le lieu et les horaires de travail doivent obligatoirement être indiqués au salarié, lorsqu’un poste de reclassement lui est proposé.
La recherche d’un poste de reclassement doit viser des emplois disponibles. Ces emplois sont ceux qui sont durablement inoccupés. Ceux qui sont temporairement vacants, ou qui sont pourvus par des CDD, ou contrat d’intérim ne sont pas considérés comme disponibles. La Cour de cassation a ainsi approuvé une cour d’appel qui avait constaté « que les emplois momentanément vacants par suite de l’indisponibilité de leur titulaire n’étaient pas disponibles » (Cour de cassation, chambre sociale, 28 avril 2011, N° : 10-13864). Ceci est valable pour les salariés en CDI, mais pas pour ceux en CDD.
Une recherche réelle du reclassement
Dans sa recherche du reclassement, l’employeur ne peut pas se limiter à envoyer aux autres sociétés du groupe une circulaire ne comportant aucune indication relative notamment à l’ancienneté, au niveau et à la compétence du salarié.
Les recommandations du médecin du travail ne limitent pas la recherche du reclassement
Les indications du médecin du travail doivent être prise en compte par l’employeur, mais l’avis du médecin du travail (hormis l’opposition à tout reclassement) ne dispense pas l’employeur « de rechercher les possibilités de reclassement le cas échéant au sein du groupe auquel appartient l’entreprise » (Cour de cassation, chambre sociale, 6 janvier 2010, N °: 08-44177).
Ni l’avis d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise délivré par le médecin du travail *, ni une affirmation de ce médecin sur le caractère non envisageable d’un reclassement sur certains sites, en raison de leur éloignement (en l’espèce plus de 200 kilomètres), ni la position prise alors (à priori) par la salariée, ne dispense l’employeur de rechercher les possibilités de reclassement (Cour de cassation, chambre sociale, 15 février 2011, N° : 09-42137).
*A ne pas confondre avec la mention expresse dans l’avis d’inaptitude citée plus haut.
L’employeur est toujours tenu de satisfaire aux obligations mises à sa charge … peu importe que le médecin du Travail n’ait émis aucune proposition de reclassement, car « l’employeur doit, au besoin en les sollicitant, prendre en considération les propositions du médecin du Travail en vue d’un reclassement du salarié » (Cour de cassation, chambre sociale, 24 avril 2001, N° : 97-44104).
Si un nouvel avis médical est délivré et est moins restrictif que le précédent, une nouvelle recherche de reclassement du salarié s’impose à l’employeur (Cour de cassation, chambre sociale, 25 mars 2009, N° : 07-41451).
Les positions exprimées par le salarié ne limitent pas la recherche du reclassement
Le libre choix de son domicile par le salarié n’interdit pas à l’employeur, tenu à l’obligation de reclassement du salarié déclaré inapte à son emploi, de lui proposer un poste impliquant un déménagement, si cela respecte les préconisations du médecin du travail, sachant que salarié peut refuser les propositions (Cour de cassation, chambre sociale, 12 octobre 2011, N°: 10-15316). NB : le refus par le salarié est généralement possible, dans la mesure où cela constituerait une modification de son contrat de travail.
L’employeur ne doit pas limiter sa recherche d’un reclassement aux souhaits du salarié. Ainsi, la position prise par un (ou une) salarié(e), indiquant là où il (ou elle) souhaitait être reclassé(e) pour des raisons familiales (en l’espèce dans la région nancéienne) et la recherche loyale par l’employeur en conformité avec les souhaits de la salariée, ne dispensent pas l’employeur de rechercher les possibilités d’autres reclassements (Cour de cassation, chambre sociale, 4 juin 2009, N°: 08-40250).
L’extension géographique et juridique de la recherche du reclassement
La recherche du reclassement, destinée à éviter le licenciement pour inaptitude, doit s’étendre au-delà de l’établissement, et, si l’entreprise appartient à un groupe, au-delà de l’entreprise.
Limitation au territoire national et aux entreprises du groupe (ordonnance de septembre 2017)
L’ordonnance relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail de septembre 2017 précise que la recherche du reclassement doit avoir lieu « au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ». « Le groupe est défini conformément au I de l’article L 2331-1» qui renvoie la définition du groupe au code du commerce (ces dispositions entreront en vigueur au plus tard le 1er janvier 2018).
La formulation du périmètre de reclassement reprend celle utilisée par la Cour de cassation dans diverses affaires.
Recherche du reclassement professionnel au niveau du groupe
La Cour de cassation a, dans le cadre d’une affaire particulière, considéré que « la cour d’appel, qui a constaté l’existence de sociétés ayant un papier à en-tête identique, les mêmes coordonnées et le même numéro de téléphone et leur siège social au même endroit, s’est également fondée sur les conditions d’une réunion ayant eu pour objet d’examiner les possibilités de reclassement du salarié au sein de plusieurs sociétés [ a pu en déduire ] la possibilité de permutation du personnel au sein d’un groupe » (Cour de cassation, chambre sociale, 25 mars 2009, N° : 07-41708).
Dans une autre occasion, la Cour de cassation a précisé que « les possibilités de reclassement doivent être recherchées à l’intérieur du groupe parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel » (Cour de cassation, chambre sociale, 24 juin 2009, N° : 07-45656). Dans des termes similaires, la Cour de cassation a réaffirmé cette jurisprudence (Cour de cassation, chambre sociale, 15 février 2011, N° : 09-67354).
La Cour de cassation a encore approuvé une cours d’appel d’avoir constaté l’absence de recherche de reclassement « après avoir relevé que l’employeur, qui n’avait pas reçu lors du licenciement l’ensemble des réponses des sociétés interrogées par ses soins, ne démontrait pas en quoi le panel de soixante-quatre entreprises nationales qu’elle avait choisi d’interroger constituait le seul périmètre de l’obligation de reclassement alors qu’il s’agissait d’un groupe comportant cent quarante-six sites sur le territoire français et de nombreuses filiales à l’étranger » (Cour de cassation, chambre sociale, 21 novembre 2012, N° : 11-18293).
Recherche du reclassement professionnel même au-delà du groupe ?
Jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance de septembre 2017, la recherche du reclassement, dont l’objectif est d’éviter le licenciement pour inaptitude, doit aller au-delà du groupe d’entreprises avec lesquelles l’employeur entretient des relations de partenariat offrant des possibilités de permutation du personnel. Ainsi l’entreprise, qui est franchisée, doit mener sa recherche dans l’ensemble des entreprises ayant la même enseigne commerciale.
La Cour de cassation a approuvé une cour d’appel qui avait considéré que « l’activité dans le cadre d’un contrat de franchise ne suffit pas à démontrer l’absence de possibilités de permutation de personnel », d’où il résultait que l’employeur « n’avait pas satisfait à son obligation de reclassement » (Cour de cassation, chambre sociale, 25 mai 2011, N° : 10-14897).
NB : Cette jurisprudence ne devrait plus s’appliquer, l’ordonnance de septembre 2009 donnant une définition du groupe se référant au code du commerce.
Si l’entreprise doit voir sa situation juridique évoluer, par exemple par un rachat de l’entreprise, la recherche d’un reclassement devra être recherchée, non seulement dans l’entreprise à laquelle appartient le salarié, mais aussi chez le repreneur.
Lorsque le reclassement du salarié est impossible
L’obligation de reclassement a des limites
L’impossibilité d’aménager le poste peut rendre le reclassement impossible
L’obligation de reclassement peut trouver des limites que l’employeur ne peut pas contourner en matière d’aménagement du poste et d’adaptation du poste aux restrictions prévues par le médecin du travail.
Ainsi, par exemple la Cour de cassation a validé la position d’une cour d’appel qui « compte tenu d’une part des contraintes de conditionnement imposées par son fournisseur et d’autre part du poids des grilles à enfourner pour la cuisson du pain sur l’ensemble des sites dépendant de la société [ et qui ayant ] relevé que le salarié ne disposait pas des compétences techniques nécessaires pour occuper un poste de pâtissier ou de traiteur et avait refusé un poste de vendeur », a dit le licenciement pour inaptitude fondé (Cour de cassation, chambre sociale, 22 juin 2011, N° : 10-10753).
Le reclassement suppose que le salarié ait les compétences nécessaires
L’obligation de reclassement n’oblige pas l’employeur à reclasser le salarié sur un poste disponible pour lequel le salarié concerné par une inaptitude n’a pas les compétences professionnelles et/ou linguistiques requises et ne peut pas les acquérir par une formation (Cour de cassation, chambre sociale, 22 juin 2011, N° : 10-18236 et du 21 mars 2012, N° : 10-24285).
Un employeur ne peut pas proposer n’importe quelle reconversion à un salarié déclaré inapte, supposant une formation initiale que l’intéressé n’a manifestement pas et qui lui serait inaccessible.
La Cour de cassation, a considéré qu’était justifiée la décision d’une cour d’appel ayant relevé que la formation professionnelle délivrée en binôme pendant 45 jours sur le nouvel emploi « s’était avérée inefficace, dans la mesure où c’est une formation initiale qui faisait défaut à l’intéressé lequel avait des aptitudes manuelles mais aucune compétence en informatique et comptabilité » et en a déduit « que le poste proposé au reclassement n’était pas approprié aux capacités du salarié » (Cour de cassation, chambre sociale, 7 mars 2012, N° : 11-11311).
Le licenciement pour insuffisance professionnelle, ou pour faute, ne peut pas remplacer le licenciement pour inaptitude
Dès lors, l’employeur ne peut pas licencier le salarié pour insuffisance professionnelle sur un poste de reclassement. Voir la jurisprudence du 7 mars 2012 de la Cour de cassation et son analyse.
L’employeur doit rechercher si un autre emploi de reclassement est disponible. Et, si ce n’est pas le cas, il doit procéder au licenciement pour inaptitude et absence de reclassement possible du salarié.
Le refus du salarié de reprendre son travail sur un poste incompatible avec les préconisations du médecin du travail ne peut pas non plus justifier un licenciement pour faute (Cour de cassation, chambre sociale, 23 septembre 2009, N° : 08-42629).
La recherche du reclassement doit être prouvée
S’informer sur la rupture conventionnelle
Il revient à l’employeur de prouver qu’il a satisfait à l’obligation de reclassement, ou plus exactement à une recherche réelle, sérieuse et suffisante d’un reclassement : « la preuve de l’impossibilité du reclassement [incombe] à l’employeur » (Cour de cassation, chambre sociale, 7 juillet 2004, N°: 02-47686).
Les juges civils, comme les juges administratifs, se montrent très exigeants dans leur appréciation du caractère effectif, sérieux et suffisant de la recherche de reclassement et regardent très précisément les conditions et l’ampleur de la recherche du reclassement.
De nombreuses jurisprudences montrent que l’employeur doit prouver qu’il a effectué des démarches à la fois actives et loyales, afin de parvenir à un reclassement professionnel destiné à éviter le licenciement pour inaptitude du salarié.
Les recherches de l’employeur pour trouver une ou plusieurs solutions de reclassement doivent se faire en liaison avec le médecin du travail, mais sans être limitées par elles. « Seules les recherches de reclassement compatibles avec les conclusions du médecin du travail émises au cours de la visite de reprise peuvent être prises en considération pour apprécier le respect par l’employeur de son obligation de reclassement » (Cour de cassation, chambre sociale, 6 janvier 2010, N° : 08-44177).
Quelque-soient les affirmations du médecin du travail sur l’inadaptation du salarié aux différents postes, c’est à l’employeur « d’apporter la preuve de l’impossibilité dans laquelle il se trouve de procéder au reclassement » (Cour de cassation, chambre sociale, 15 février 2011, N° : 09-42137).
Pour procéder au licenciement pour inaptitude, l’employeur doit être en mesure de justifier des démarches et des recherches qu’il a effectuées pour parvenir à des propositions de reclassement précises, concrètes et personnalisées.
Les juges considèrent que des indications trop limitées ou trop générales ne permettent pas à l’employeur de justifier l’existence d’une recherche personnalisée et loyale des possibilités de reclassement et donc le licenciement pour inaptitude. La cour de cassation a, par exemple, indiqué que « la cour d’appel, qui [avait] constaté que la société [ X ] n’avait adressé à la salariée qu’une proposition imprécise ne contenant ni la qualification du poste, ni les horaires de travail, ni la rémunération, [ … ] a pu décider que l’employeur avait manqué à son obligation de reclassement » (Cour de cassation, chambre sociale, 7 mars 2012, N° : 10-18118).
Comme pour la réalité de son effort de recherche d’un reclassement pour éviter le licenciement pour inaptitude, « il appartient à l’employeur de justifier du périmètre de reclassement et de l’impossibilité, à la date du licenciement, de reclasser le salarié tant dans l’entreprise que dans ce groupe » (Cour de cassation, chambre sociale, 21 novembre 2012, N° : 11-18293).
La Cour de cassation a, par ailleurs, précisé que « si l’employeur ne peut offrir qu’un poste de reclassement comportant une modification du contrat, il doit en faire la proposition au salarié qui est en droit de refuser ».
La justification par l’employeur de l’impossibilité du reclassement autorisant le licenciement pour inaptitude est donc clairement loin d’être une chose aisée.
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Article rédigé par Pierre LACREUSE, Sciences-Po Paris, licence en droit et DESS Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, ancien Directeur de la Gestion du personnel et des Relations Sociales, DRH, puis chef d’entreprise (PME), aujourd’hui Editeur juridique et relations humaines sur internet.
Sources : code du travail et jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat – Legifrance.gouv.fr ; loi Travail du 8 août 2016 ; ordonnance relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail du 22 septembre 2017.
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